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Culture – Multiculturalité – Interculturalité – Transculturalité (outil clinique)

Qu’est-ce que cela veut dire une « différence de culture »? et comment cela se traduit-il dans la relation de soin ?

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Dans les milieux de soins, les personnes soignées et soignantes proviennent de plus en plus souvent de cultures différentes, suite aux mouvements migratoires des dernières décennies.

Nous pouvons aussi constater de forts décalages de culture par exemple entre les générations ou entre des sous-cultures au sein de quartiers d’une même ville par exemple.

Qu’est-ce que cela veut dire une « différence de culture »? et comment cela se traduit-il dans la relation de soin ?

Pour aborder ces questions nous allons nous pencher sur 4 termes clefs :

CultureMulticulturalitéInterculturalité – Transculturalité

1. CULTURE

Commençons par la culture, tout comme le terme « spiritualité » que nous avons essayé de définir préalablement ou le terme « santé » qui recouvre des conceptions très différentes de ce qu’est un « idéal » de santé, il n’est pas du tout évident de trouver UNE définition de la culture. Nous vous proposons ici une définition très large de la culture :

« La culture [1] est l’ensemble des connaissances, des savoir-faire, des traditions, des coutumes, propres à un groupe humain, à une civilisation. Elle se transmet socialement, de génération en génération et non par l’héritage génétique, et conditionne en grande partie les comportements individuels.

La culture englobe de très larges aspects de la vie en société : techniques utilisées, mœurs, morale, mode de vie, système de valeurs, croyances, rites religieux, organisation de la famille et des communautés villageoises, habillement, etc.…
Exemples : culture occidentale, culture d’entreprise.…

On distingue généralement trois grandes formes de manifestation de la culture: l’art, le langage et la technique. »[2]

Nous pouvons déjà constater que la culture soignante est une sous-culture d’une culture. À travers les résultats qu’elle espère, les critères qu’elle s’impose et les moyens qu’elle mobilise, cette sous-culture nous renseigne sur ce qu’une communauté attend du soin, de sa perception qualitative de la vie : nutrition, confort, sécurité, autonomie etc.. et sur la manière d’y arriver : l’art du prendre soin.

En effet, l’art de soigner implique des connaissances, des savoir-faire (techniques), des langages (verbaux et non-verbaux) qui peuvent sembler la norme pour certains dans la société occidentale (culture bio-médicale), mais étranges pour d’autres qui n’ont pas le même référentiel. L’art de soigner est différent selon les cultures dont il provient, ainsi il peut apparaître interpellant ou incompréhensible si l’on n’a pas les codes de la culture dont il provient pour le comprendre.

L’art du soin peut aussi être marqué de croyances, de rites, et être exercé par de multiples acteurs. Dans certaines sociétés, le guérisseur est aussi le responsable religieux de la communauté, ainsi soin et religion sont parfois intrinsèquement liés.

Un « choc des cultures » en milieu de soins peut avoir lieu sans que celui-ci soit particulièrement exprimé (sous l’emprise d’une urgence par exemple : une vie à sauver…) mais avec des répercussions importantes dans la manière de vivre les traitements et relations de soins par la suite.

Pour schématiser le lien entre espace (de soins) et nos 4 concepts clefs, nous utiliserons un schéma (réducteur) permettant de soutenir notre réflexion :

Ainsi, sur ce premier schéma, le carré représente l’espace de soins et la cuture, unique, occupe cet espace et le « colore ».

La culture est le réservoir, une source de vie pour le prendre soin. Dans ce schéma, avec une culture unique, nous pouvons imaginer que les dirigeants du lieu de soin, les prestataires de soins, la patientèle sont majoritairement de la même culture. Ils partagent une même « teinte ». Ce qui est loin d’être la situation habituelle aujourd’hui, particulièrement en milieu urbain, mais nous pouvons voir que la culture du soin est assez uniforme en Occident et devient la culture de référence.

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[1] Étymologie : du latin cultura, culture, agriculture, dérivé du verbe colere, habiter, cultiver.

[2] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Culture.htm, consulté le 10.6.2019

2. MULTICULTURALITÉ

En latin, le préfixe « multi » veut dire « plusieurs ».

Lorsque dans une société coexistent plusieurs cultures majeures, nous pouvons parler de multiculturalité. L’adjectif multiculturel est utilisé pour parler de la cohabitation de plusieurs cultures (ethniques, religieuses…) dans une même société, dans un même pays.

La multiculturalité c’est la façon dont une société envisage d’organiser la co-présence d’expressions culturelles différentes de la culture dominante. Les difficultés de compréhension, de cohabitation, de partage, de respect, de reconnaissance interpellent alors l’ordre culturel dominant, et c’est la réponse de celui-ci, sa capacité et sa volonté à les entendre qui est à la base de toute politique multiculturelle dans un établisement de soin, qu’elle ait été explicitée ou non.

Nous allons essayer de nous replacer dans notre schématisation :

À l’intérieur d’une institution de soin, il y a une culture dominante (par ex. la culture nationale ou la culture bio-médicale occidentale) et des cultures secondes ou minoritaires. Chacun essaie d’avoir un espace à lui, où il peut se sentir respecté et vivre selon son référentiel. Chaque culture (rond) s’entoure d’une coquille pour protéger son identité. On constate aussi que c’est toujours la culture dominante qui donne sa tonalité à l’espace/institution de soin.

DE LA MULTICULTURALITÉ À L’INTERCULTURALITÉ …

Lorsqu’un hôpital, une maison de soins ou un réseau de soins se trouvent implantés dans une société multiculturelle, les soignants se doivent d’apprendre à soigner des personnes de cultures différentes.

Dans une dimension multiculturelle du soin les personnes se reconnaissent différentes mais ne partagent pas forcément ce qui touche à leur culture. Dans ce cas, un respect minimum, une non-discrimination, fait office de b.a.-ba et c’est la culture du soin dominante qui est la norme (par exemple, en occident c’est le soin bio-médical qui est la référence et qui fait norme pour tout le monde).

Mais une relation de soins authentique amène de facto à une dimension d’interculturalité c’est-à-dire de rencontre et de partage, d’échange avec la personne soignée (et son entourage – famille/amis) d’une autre culture.

Dans une vision interculturelle du soin, les personnes de cultures différentes échangent, partagent sur ce qui influence leurs vies et la gestion de leurs maladies (de part et d’autre). Cela implique pour le soignant de savoir et d’accepter de prendre du recul par rapport à sa propre culture [3], celle de ses collègues, celle de son institution (et finalement la ou les cultures dominantes de son pays). Cela implique aussi des savoir-faire dans la relation (écoute, gestion des limites professionnelles – p.ex. demander l’aide de médiateur.rices culturel.les [4], acceptation des différences et gestion de l’impuissance face aux représentations d’autrui  tout autant qu’un travail sur ses propres représentations parfois).

Nous reprenons ainsi notre schéma et voyons qu’un effort de part et d’autre est fourni pour mieux se comprendre et s’apprécier. Les coquilles sont toujours là mais s’entrouvrent pour un échange souhaité afin de mieux se comprendre réciproquement. Dans ce cas encore, c’est la culture dominante qui donne sa tonalité à l’espace/institution de soin.

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[4] Lorsqu’il y en a dans l’institution et que les limites des compétences professionnelles sont dépassées pour aborder les enjeux liés à la culture.

3. INTERCULTURALITÉ

En latin, le préfixe « inter » veut dire « entre ».

L’interculturalité [5] est l’ensemble des relations et interactions entre des cultures différentes, générées par des rencontres ou des confrontations, qualifiées d’interculturelles. Impliquant des échanges réciproques, elle est fondée sur le dialogue, le respect mutuel et le souci de préserver l’identité culturelle de chacun.

L’interculturalité peut prendre des formes plus ou moins intenses, et constitue une expérience souvent enrichissante. Avec ou sans la barrière de la langue qui peut être un obstacle aux échanges, ces rencontres avec l’Autre sont aussi l’occasion d’une réflexion sur soi-même et sur le monde et peuvent être à l’origine du métissage culturel. [6][7]

Nous voyons que l’interculturalité demande un investissement personnel de la part des soignant.es mais qu’il est une condition pour un soin global qui préserve l’identité de la personne, dimension essentielle de la spiritualité de tout être humain. L’interculturalité à l’œuvre est aussi source d’enrichissement mutuel.

Pour approcher les différents facteurs d’interculturalité il est entre autres nécessaire d’explorer la diversité :

  • de langue,
  • des immigrations,
  • des inégalités sociales et économiques, de genre,
  • des courants religieux (a-religieux)

Nous proposons quelques tableaux, des graphiques, des synthèses qui vous permettront de visualiser cette diversité. Ces informations proviennent des données fournies par l’OCDE ou par des instances de recensement nationales.

https://data.oecd.org/fr/

(liens aux 2 pdf de l’INSEE)

INSEE en bref – immigration

IM 76 – Recours aux soins

IM 89 – 45 ans d’immigration

Ces données sont bien évidemment à interpréter et à « colorer ». Ainsi la proportion par exemple de musulmans en Europe est souvent surestimée par la population. Elle est en réalité entre 6-8% par exemple en France et en Belgique dans les années 2016-2018 mais ressentie comme étant de l’ordre de 22-31 % par la population durant cette même période selon sondage. [8]

Nous vous invitons, si vous désirez allez plus loin, à rejoindre le MOOC (Cours gratuit en ligne) : « Spiritualité et interculturalité en milieu de soins » de l’UCLouvain sur la plateforme EDX (pour plus d’infos, inscrivez-vous à la newsletter du RESSPIR).

Les deux vidéos suivantes peuvent être utiles pour visualiser la question de l’interculturalité en milieu de soins. Elles sont focalisées sur le prendre soin et ressenti des patient.es dans deux hôpitaux de Suisse romande.

« Soigner la diversité », une production de l’hôpital universitaire de Genève en 2014.

https://www.youtube.com/watch?v=h8w2o4q8X18

« La transculturalité à l’hôpital », une émission de CarrefoursTV de 2011 sur la cohabitation au CHUV de Lausanne.

https://www.youtube.com/watch?v=lsyHYUenLDA

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[5] Etymologie : de interculturel, composé du latin inter, entre, parmi, avec un sens de réciprocité et de culturel, issu du latin cultura, culture, agriculture, dérivé du verbe colere, habiter, cultiver.

[6] http://www.toupie.org/Dictionnaire/Interculturalite.htm, consulté le 10.6.2019.

[7] le fait de reconnaitre l’interaction et les influences réciproques qui sont à l’œuvre dans l’interculturalité doit aussi mettre en évidence l’impossible « pureté » d’une culture. Toute culture porte en elle les traces des différentes rencontres qu’elle a effectuées, et la sous-culture du soin aussi. Ce n’est pas une simple fusion mais le produit à un moment précis de l’histoire d’une communauté.

Les rencontres ont toujours eu lieu naturellement malgré l’obstacle de la langue. Certes il faut pouvoir communiquer pour évaluer la douleur et le lieu de celle-ci avec un patient. Mais les techniques de communications et de diagnostics prennent en compte l’éventualité d’un patient dans l’incapacité de dire son malaise. L’expérience tirée de la rencontre des autres permet de réduire l’obstacle de la langue.

[8] Étude de l’institut de sondage britannique Ipsos Mori intitulée «Les périls de la perception 2016»

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/12/14/01016-20161214ARTFIG00214-la-population-musulmane-largement-surestimee-en-france.php, consulté 7.7.2019.

Le commentaire du directeur des recherches d’Ipsos Mori, Bobby Duffy : «Il y a plusieurs raisons à ces erreurs : des simples erreurs mathématiques ou de proportions, la couverture médiatique de certains événements, des raccourcis psychologiques ou encore des préjugés», relève-t-il.

Pour aller plus loin, voir :

  • « Améliorer le dialogue entre médecins généralistes et patients d’origine étrangère. Aperçu des outils existants », Carine Vassart, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, 2013, 76 p.

4. TRANSCULTURALITÉ

En latin le préfixe « trans » veut dire « au-delà de, dépasser ».

La transculturalité va encore plus loin, elle implique un échange plus profond et un accueil plus déterminant en soi de ce que l’autre, différent, nous évoque et convoque en nous. Ces échanges transforment et fécondent réciproquement les personnes, les cultures. Plus qu’un échange qui permet de mieux se respecter dans nos différences et de préserver nos identités, la transculturalité nous amène à un changement, à un enrichissement : on sera différent après, il y aura eu une plus-value par la relation vécue. Un métissage se dessine petit-à-petit et nous amène à être plus que ce que l’on était.

Dans ce schéma, il n’y a plus de coquille autour des ronds : une perméabilité plus importante permet le métissage; des éléments de la culture de l’autre sont intégrés dans notre propre rond (couleur de soi et des autres dans chaque rond mais aussi dans l’espace.

Avec des compétences transculturelles, les soignant∙es s’ouvrent au monde des autres, non seulement pour les comprendre et être bien compris mais aussi pour apprendre. Et apprendre transforme (modifications des représentations, des modes de pensée et comportements de chacun). Cela passe par un temps de confrontation – donc des tensions intérieures ou extérieures (avec les membres d’une équipe ou avec les patient∙es) qui sont à considérer comme des moteurs d’évolution dans cette optique transculturelle.

La transculturalité est une manière de considérer soi-même et les autres comme des porteurs de richesses à partager pour s’enrichir mutuellement. Il y a dans cette optique moins de peur et de cloisons entre les différents cercles qui représentent les cultures. Les échanges sont moins « sécurisés » par le fait de vouloir rester soi-même ou préserver la culture du lieu. Les échanges deviennent plus fluides et mènent à un métissage de soi-même, de l’autre et qui peut influencer la culture même dans l’espace du soin. Cela demande quelques compétences transculturelles qui seront explorées dans un prochain module.
Un élément culturel n’est pas l’apanage d’une culture mais peut traverser les cultures; nous voyons combien par exemple en temps de pandémie du COVID 19, la toilette mortuaire, les soins aux corps morts, sont des fondamentaux violemment malmenés quelle que soit la religion (et l’a-religion, la culture). Avec une diversité très marquée, cet élément anthropologique traverse les cultures dans un foisonnement de formes qui nous enrichit et nous lie très fortement dans notre humanité partagée.

Prenons un dernier exemple

Une patiente, lorsque vous venez quotidiennement pour refaire son pansement, ne vous laisse pas repartir sans serrer vos mains à la fin du soin. Avec un signe de reconnaissance, comme une invocation par ses mains à elle sur les vôtres, elle vous dit une phrase dans une langue étrangère, car elle ne parle pas bien français. Vous voyez que cela lui fait du bien et qu’elle sourit comme pour vous remercier. Vous interprétez cela et vous dites que c’est sa manière de vous dire merci pour ce que vous faites. Dans une perspective interculturelle, vous oserez peut-être lui demander pourquoi elle fait quotidiennement cela (à elle-même malgré le défi de la langue ou en le demandant à quelqu’un de sa famille, à vos collègues ou à un médiateur). Vous découvrirez que la phrase répétée quotidiennement veut dire « Que la Paix bénisse tes mains », que dans sa culture c’est usuel de le dire lorsque quelqu’un vous fait du bien de manière exceptionnelle avec ses mains. Votre réponse à son attitude va peut-être alors changer et ce « savoir » peut vous «  apprendre  » à considérer votre corps autrement. Dans une perspective transculturelle, vous allez peut-être accueillir et vous laisser transformer par cette phrase quotidienne, petit à petit, vivant cette expérience répétée, vous et vos collègues (qui le vivent peut-être très différemment). Vous allez même peut-être percevoir vos mains différemment à la longue et sentir cette reconnaissance spirituelle pour ces membres de votre corps. En continuant les suppositions, vous pourriez vous sentir même plus précieux, plus en paix et reconnaissant pour ces mains que vous n’avez jamais regardées avec autant d’apaisement depuis que vous travaillez dans les soins.